En 2015, nous avons atterri au Japon afin d’y effectuer six mois de Wwoofing. Longtemps avant le livre, ce sont nos hôtes d’alors qui nous ont offert nos premières découvertes touristiques locales. Comme promis dans nos précédents articles sur le sujet, voici le détail et les souvenirs des trois dernières expériences – deux fermes et un café – sur nos six Wwoofing au Japon.
Cet article est bien la suite de « Faire du Wwoofing au Japon : pourquoi et comment ? » , qui donne informations générales et conseils sur le Wwoofing dans l’archipel et décrit la marche à suivre, et de « Faire du Wwoofing au Japon : expériences détaillées [1/2] ». Il est le dernier article décrivant nos expériences de bénévolat au Japon.
Disclaimer : ce post est à nouveau illustré par un grand nombre de photos de 2015, non approuvées par le milieu de la mode et de la coiffure.
Wwoofing #4 : Café et chaton au pied du mont Yufu
Durée = environ 2,5 semaines
L’automne est arrivé. Nous, nous sommes rendus dans le Kyushu, où nous filons tout droit vers la champêtre Yufuin. Le quatrième Wwoofing est le seul qui nous aura fait côtoyer de près l’un des cent paysages (mais ce n’était absolument pas fait exprès, le projet Nippon100 n’existait pas encore).
Yufuin est une cité thermale dominée par le double sommet du mont Yufu. Le débit y est conséquent au point que de nombreux résidents reçoivent l’eau chaude thérapeutique directement chez eux. De notre côté, nous étions logés dans un petit studio dans une résidence appartenant à une association communautaire ; le logement possédait son propre onsen à partager avec les voisins. Donc bain thermal tous les soirs.
Surtout, le quatrième Wwoofing est le seul qui ne nous a pas amené dans une ferme. Pendant presque trois semaines, nous avons travaillé pour le café Harappa, un petit établissement à vocation communautaire tenu par Ryuji, une figure locale, un homme extrêmement gentil, engagé politiquement, et n’ayant jamais l’air tout à fait réveillé malgré son amour pour le café (et qui apparaîtra dans le film Dekiru, c’est possible, tourné par deux autres wwoofers).
Le travail a été riche et varié. Au déjeuner, nous avons passé beaucoup de temps en cuisine, à assister Ryuji quand il avait la main sur le menu, ou Suda-san, l’un des deux autres chefs. Nous avons fait beaucoup de vaisselle, mais aussi tenu certaines casseroles, dressé les plateaux repas livrés à des établissements voisins… et, même, fait un peu de service en salle (sous la houlette d’un wwoofer japonais, Seigo, devenu un ami).
Le choix des menus était suffisamment limité pour nous permettre de comprendre les clients (en bref, A, B ou C). Il fallait aussi gratifier chaque nouveau venu du sempiternel “Irrashaimase” et apporter un verre d’eau.
Pour Aurélie comme pour moi, l’expérience était une première, finalement très enrichissante.
Le café Harappa, résolument alternatif, servait des plats variés et biologiques, selon les humeurs des chefs, avec souvent une touche italienne. Ryuji, et Suda-san davantage encore, étaient experts pour improviser de délicieuses plâtrées de pâtes. Le soir, nous ne travaillions pas (un autre chef prenait le relais); mais nous mangions à nouveau au café après le service, vers 21h.
Occasionnellement, nous étions aussi de sortie aux rizières (également communautaires), presque à maturité, qu’il fallait désherber. L’occasion de retrouver notre lot d’insectes et d’animaux, en admirant l’emblématique mont Yufu.
Durant nos jours de pause, et de temps en temps après le travail, Ryuji a été un hôte formidable. Il nous a fait découvrir un pan de Beppu, capitale nationale du onsen et grande voisine de Yufuin, ainsi qu’un petit village thermal reclus dans les montagnes. Nous sommes allés déguster du très bon café dans les bois et avons assisté à un concert avec vue près d’une drôle de maison faisant office de bar, réalisée en torchis et en béton par des amis de notre hôte.
Nous avons aussi eu l’occasion d’arpenter Yufuin par nous-mêmes et de gravir le mont Yufu. Ryuji nous aura également demandé notre aide pour d’autres missions. Notre séjour nous aura amené dans une école, pour un temps de jeu avec les enfants, ou encore dans un restaurant de yakiniku, où nous avons démonté une cloison pour déménager un frigo, avant d’être récompensés par un festin de viande de bœuf (avec des wagyu d’une qualité que Ryuji n’avait encore jamais pu goûter, d’après lui).
Wwoofing #5 : Une ferme laitière à Okinawa
Durée = trois semaines
Le fond de l’air commence à être frais dans le Kyushu. Il est temps de s’envoler vers l’archipel tropical d’Okinawa. Nous avons pris rendez-vous avec “Otoo-san” (“Papa”), le propriétaire âgé d’une exploitation laitière familiale sur l’île principale.
Ce cinquième Wwoofing fut le plus difficile physiquement, mais nous le savions avant même de le commencer. L’immense majorité des commentaires le concernant sur le site Wwoofing Japan se résumaient ainsi : “Parfait pour les amoureux d’animaux, mais il ne faut pas compter ses heures, travail éreintant”.
Une raison à cela : la ferme était tenue par Otoo-san et son épouse, aka Okaa-san, deux personnes adorables mais vieillissantes (surtout lui, développant un Parkinson) qui déléguaient de plus en plus aux wwoofers.
Ceux-ci, donc nous et, au fil des semaines, un Sud-Africain, un Australien, une Thaïlandaise, un Coréen et une Américaine, vivaient de longues journées ainsi découpées :
- rassembler les 40 vaches à 6h du matin, pour les mener vers leur enclos et la traite (seule activité qui n’était pas à notre charge) ;
- nettoyer avant l’arrivée des bovins lesdits enclos avec des grattoirs géants, avec vue sur la mer de Chine orientale ;
- trier des blocs de tofu pour les réutiliser dans la préparation de la nourriture des animaux ;
- prendre vers 8h un petit-déjeuner dans le bureau entre les enclos ;
- préparer une première fois la nourriture pour les bêtes (dans de grandes cuves à roulettes) en mélangeant à la pelle les différents ingrédients (dont le tofu) ;
- nourrir une première fois les vaches, en tractant ces cuves dans l’allée centrale ;
- nourrir les autres animaux (des chèvres, des lapins, un cochon, un sanglier, le chien, des chats officiels et officieux) ;
- donner du foin aux vaches ;
- alterner entre donner de la nourriture et du foin aux vaches, deux fois supplémentaires, en préparant régulièrement le mélange ;
- déjeuner vers 13h d’un bon repas de cuisine d’Okinawa préparé par Okaa-san ;
- faire la sieste.
L’après-midi se répartissait ensuite en tâches diverses, depuis la réparation de l’enclos des chèvres, l’entretien de clôtures, du désherbage, ou un coup de main donné à Okaa-san pour l’encadrement de lycéens en voyage scolaire à la découverte de la ferme (une autre source de revenus pour les fermiers).
Il ne fallait pas nous bercer le soir (malgré le fait que nous dormions dans des dortoirs aménagés dans un vieux conteneur (pour les hommes) ou dans une vague cabane à côté de l’enclos des chèvres (pour les femmes). Nous étions allègrement au-delà des six heures quotidiennes théoriques. L’expérience nous a parfois épuisé moralement, mais nous la chérissons désormais comme l’un des meilleurs souvenirs de Wwoofing.
Pour Aurélie, ce fut aussi l’occasion de découvrir le quotidien des Prim’Holstein, les vaches qui peuplent entre autres les champs bretons, mais bien loin de sa région natale !
Okaa-san a emmené une fois les wwoofers pique-niquer au bord de la mer, une autre fois à la découverte d’un atelier de poterie dans la jungle (le vieux potier vivait avec une araignée de maison assez énorme, sans doute une cousine d’Aragog), et une fois déjeuner dans un restaurant servant des tempura de tout (y compris de fleurs d’hibiscus). Pour Halloween, j’ai (Julien) conduit pour la première fois au Japon pour emmener tout le monde faire la fête dans la base américaine voisine.
Pour notre premier jour de congé, après six jours de labeur, nous avons dormi. Le deuxième, une semaine plus tard, fut occupé par une randonnée vers une cascade voisine. Pour le troisième, juste avant notre départ, nous sommes allés voir l’aquarium de Churaumi, où se trouvent même des requins baleines (dans l’un des plus grands bassins du monde).
Après les trois semaines à la dure, nous nous sommes envolés vers l’archipel d’Ishigaki pour cette fois prendre du bon temps (et faire un peu de tourisme, à la découverte du chat d’Iriomote ou du festival de l’île paradisiaque de Taketomi). Nous sommes alors en novembre, la fin de nos six mois japonais approche.
Il est temps de programmer un dernier wwoofing, que nous voulons court pour garder du temps afin de visiter des amis, et de rester une longue semaine à Tokyo avant de quitter le pays, juste avant Noël.
Wwoofing #6 : Aux racines du wasabi à Shizuoka
Durée = 6 jours
Ce dernier Wwoofing devait répondre à un cahier des charges précis :
- un hôte nous acceptant pour une semaine ou moins;
- une situation géographique pratique, si possible près d’une grande gare de la Tokaido Main Line, que nous comptons utiliser pour remonter sur la capitale;
- des commentaires indiquant que le travail n’est pas trop exigeant (la bonne expérience d’Okinawa n’a alors pas vocation à se répéter).
Youko nous accepte rapidement. Le 5 décembre, nous arrivons donc en fin de journée à la gare de Shizuoka pour la retrouver. Enfin, en théorie. Car personne ne nous attend au rendez-vous. Après une heure à arpenter la grande gare à la recherche d’une petite sexagénaire (septuagénaire ? – c’est tout ce que nous savons), nous nous décidons à utiliser un téléphone public pour appeler son portable.
Précision utile : Youko ne parle pas anglais. C’était notre petit challenge du dernier Wwoofing.
La suite est plutôt confuse. Une voix précipitée nous répond au téléphone, ladite petite grand-mère arrive une heure plus tard, nous fait monter dans sa voiture, démarre sur les chapeaux de roues, pile deux kilomètres plus loin pour nous déposer chez sa fille, fonce acheter un menu chez Mos Burger pour nous le ramener – et nous nourrir -, nous laisse avec ses petits enfants, puis nous emmène finalement à sa ferme, à une heure de route dans les montagnes, dans le village d’Utogi. Qui n’est rien d’autre que l’un des cœurs historiques de la production de sawa wasabi au Japon.
Dans la nuit noire, nous découvrons une petite propriété en pente, et investissons une cabane bien rénovée un peu à l’écart de la maison principale. Le temps d’allumer le chauffage et nous sommes chez nous.
Après cette entrée en matière inattendue, Youko a été l’une des hôtes les plus attentionnées (et les plus incroyablement dynamiques) que nous ayons connues. Pendant cinq jours, nous avons plus eu l’impression d’avoir été ses petits-enfants que des volontaires. Les deux ou trois matinées de travail se sont résumées à découvrir la production du wasabi (en eau vive, cf notre article sur le wasabi). Nous avons aussi nettoyé la précieuse racine.
Sinon, à part courir en tout sens, Youko nous a cuisiné de bons petits plats, nous a souvent ramené du Mos Burger, nous a emmené déguster un repas udon/tempura dédié au wasabi, au cœur d’Utogi, et nous a présenté une amie à elle possédant une très ancienne maison dans la vallée (et accessoirement témoin de Jéhovah). Nous nous sommes promenés entre les champs de thé dans le village, vu les ruisseaux/terrasses de wasabi s’étager haut dans les montagnes.
Surtout, le court séjour a aussi marqué notre première rencontre avec le mont Fuji, après plus de cinq mois dans l’archipel, par un jour au temps exceptionnellement clair. Nous avons randonné jusqu’au sommet du mont Aozasayama. Pour nous guider jusqu’en haut, Youko avait réquisitionné son employé de mairie référent (une aide au quotidien à laquelle son grand âge lui donnait droit).
Bref, notre découverte du Wwoofing au Japon, et plus globalement du Japon, s’est terminée en beauté grâce à Youko.
Une grande introduction de six mois qui nous a donné envie de découvrir davantage le pays nous ayant tant surpris. Un an plus tard, nous y retournions pour le projet Nippon100 et trois ans plus tard, notre livre Les cent vues du Japon sortait.