Emblème kawaii au Japon et animal de compagnie adoré depuis l’ère Edo, le chat est aussi en danger à l’état sauvage. Sur une petite île tropicale japonaise survit une sous-espèce rare et endémique, le chat d’Iriomote.
A 2000 km au Sud-Ouest de Tokyo et 220 km de Taïwan, se trouve l’île tropicale d’Iriomote. Mais ne vous attendez pas à croiser le chat d’Iriomote dès la sortie du bateau. Ce chat sauvage, sous-espèce unique – endémique de l’île – du chat léopard ne compte plus qu’une petite centaine de membres, qui se cachent aisément dans la nature luxuriante de l’île.
Véritable paradis végétal, la seconde île de l’archipel des Ryukyu par la taille est couverte à 90% de forêt vierge subtropicale sempervirent et de plusieurs sortes de mangroves (le Japon en compte sept). Comme Bruguiera gymnorhiza, Rhizophora mucronata ou encore Yaeyama Hirugi (Rhizophora stylosa) qui représente la plus grande forêt de mangrove de l’île. On peut aussi y observer quelques spécimens de Heritiera littoralis (appelé Toto Margot en Polynésie), cet arbre de 20 mètres de haut aux racines gigantesques qui font des vagues. Iriomote est aussi reliée à sa voisine Ishigaki par le plus grand récif de corail du Japon.
Un écosystème riche mais fragile
Sur cette île restée très sauvage, des espèces rares se sont développées à l’abri de l’urbanisation. Pour les protéger, le Parc national d’Ishigaki-Iriomote a été créé en 1972. La zone a également été désignée “zone forestière d’intérêt écologique” en 1991 par le gouvernement japonais. L’île d’Iriomote abrite des espèces typiques de l’Asie tropicale comme la sous-espèce japonaise de la tortue asiatique Cuora flavomarginata evelynae (yellow-margined box turtle) et un rapace diurne, le serpentaire bacha, Spilornis cheela, (crested serpent eagle).
Parmi les espèces que l’on ne trouve que sur l’île, certaines mangroves et deux plantes spécifiques : Asarum yaeyamensis et Chikusichloa brachyanthera. Du côté de la faune, Iriomote abrite une espèce de saurien, le Kishinoue’s giant skink et enfin Prionailurus bengalensis iriomotensis, autrement dit le chat d’Iriomote ( 西表山猫 ou イリオモテヤマネコ en japonais).
Un autre félin pourrait avoir vécu sur l’île tropicale, selon des habitants qui l’auraient aperçu. Le yamamaya (dialecte local pour chat d’Iriomote) aurait ainsi côtoyé le yamapikaryaa, un cousin semblable à un grand félin. Mais à part ces témoignages, aucune preuve scientifique n’a pu établir son existence.
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Une espèce menacée d’extinction
Le cas du chat d’Iriomote est unique. Il serait arrivé à une époque où les îles japonaises et l’Asie ne formaient qu’un ensemble, il y a 10 millions d’années. Après plusieurs séparations et des mouvements des plaques tectoniques, les îles Ryukyu ont vu le jour. C’était il y a 20 000 ans.
Découvert en 1965 seulement, par le romancier animalier Yukio Togawa, le chat d’Iriomote a apporté la preuve inatendue qu’un chat sauvage pouvait survivre sur un petit territoire. Ce qui a été permis par le fait que l’île est restée très longtemps préservée d’influences extérieures. Sous-espèce du chat léopard, quoique souvent considérée comme une espèce à part entière, le chat d’Iriomote est donc endémique. Ce qui explique aussi ses caractéristiques physiques quasi primitives.
Ainsi coincé sur l’île d’Iriomote, le cousin du chat léopard a pu se développer à l’écart de la civilisation. Longtemps restée inhabitée, et porteuse de la malaria (éradiquée dans les années 50), l’île d’Iriomote et ses 284 km² a pu être un paradis pour le félin, ainsi que les autres espèces animales et végétales qu’elle abrite. Aujourd’hui, elle compte 2000 habitants.
Avec l’arrivée des hommes, et plus récemment avec la construction de l’unique route départementale, en 1977, la population de chats d’Iriomote a baissé. Ainsi, 49 chats ont été tués sur la route de 1978 à 2010. Il ne reste qu’une petite centaine d’individus.
Comment protéger le chat d’Iriomote ?
En 1997 le chat d’Iriomote a été déclaré comme Trésor national du Japon. Plus récemment, le chat sauvage a été aussi intégré, en 2008, par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dans sa liste rouge des espèces menacées. Le long de l’unique route, où la vitesse est limitée à 40 km/h, de nombreux panneaux et indications au sol incitent désormais à faire attention. Plusieurs individus sont néanmoins toujours renversés chaque année.
Le centre de la vie sauvage d’Iriomote, qui présente une importante documentation sur le sujet, mène aussi des actions de prévention, d’intervention et de secours aux chats blessés. Ils incitent les automobilistes, y compris les visiteurs, à les contacter en cas d’observation d’un chat.
Depuis quelques années, les habitants s’impliquent aussi de plus en plus pour la protection du chat d’Iriomote. Une patrouille automobile de nuit, initiée en 2011 par l’association Japan Tiger and Elephant Fund (JTEF), n’a plus seulement lieu pendant la période touristique, mais aussi toute l’année. Appelée “Yamaneko patrol” elle est désormais organisée jusqu’à cinq fois par semaine à tour de rôle par cinq familles de l’île. Des locaux ont également créé une association basée sur l’écotourisme.
D’autres mesures ont aussi été prises pour protéger le chat d’Iriomote, comme une campagne d’identification de tous les chats domestiques, ainsi que la stérilisation et la vaccination de tous les chats errants et domestiques.
Une île entre chats et humains
Lors des tables rondes organisées, en 2015, pour le 50ème anniversaire de la découverte du chat, la coexistence avec les habitants a été un sujet majeur. “Le chat d’Iriomote est notre Trésor national, nous nous devons de le protéger. Et nous voulons faire savoir aux gens d’ici et d’ailleurs que notre communauté entend développer le vivre ensemble avec le chat sauvage”, a notamment déclaré à cette occasion le maire de Taketomi, Eicho Kawamitsu, déclaré président du comité créé pour cette occasion.
Le chat d’Iriomote n’est pas le seul chat sauvage du Japon. Prionailurus bengalensis euptilurus ou le chat de Tsushima est aussi une sous-espèce du chat léopard. Mais contrairement à celui d’Iriomote, il n’est pas endémique. En effet le chat de Tsushima, dans la préfecture de Nagasaki, à Kyushu, peut aussi être vu en Corée, en Mandchourie et en Sibérie.
Road trip à Iriomote
Dans la seconde plus grande île des Ryukyu, les activités sont limitées étant donné l’importante couverture de jungle épaisse. Deux à trois jours sont tout de même nécessaires pour explorer ce qui peut l’être de cette masse verte, à la fois côté terrestre avec les randonnées, et côté rivières avec les nombreuses possibilités de croisières et de canoë à travers les mangroves.
Le mieux est de commencer par louer une voiture. Les bus sont rares et ne permettent pas d’explorer l’île en profondeur. Les loueurs fournissent un plan de l’île et de nombreux conseils utiles. Le road trip autour de l’île (compter quelques heures à 40km/h) permet d’observer sa nature luxuriante et de croiser quelques tortues chinoises Cuora flavomarginata ou yellow-margined box turtle qui traversent la route tranquillement.
Quand le soleil est déjà couché, les crabes rouges s’y aventurent à leur tour. Difficile à observer, le chat d’Iriomote peut montrer le bout de son museau la nuit, au bord de la route. Mais il vaut mieux rouler à faible allure.
Croisière au milieu des mangroves et sashimi de sanglier
Concernant la randonnée dans la jungle, il est fortement recommandé de ne pas s’y aventurer seul, tant il peut être facile de se perdre. Être accompagné permet aussi de pas perturber un environnement où de nombreuses espèces survivent encore à l’état sauvage.
Plusieurs compagnies japonaises proposent différentes options de tours à travers la jungle, et/ou en croisière pour observer les mangroves dès l’embarquement à Ishigaki, l’île voisine. Parmi les nombreux cours d’eau qui recouvrent l’île, la rivière Urauchi est la plus grande de l’île et de toute la préfecture d’Okinawa. Des croisières sont aussi organisées sur la rivière Nakama.
Pour achever un séjour sur l’île, rien de tel que le sashimi de sanglier. L’île d’Iriomote est le seul endroit au monde où il est possible de le manger sans risque pour la santé. Encore une fois, le côté isolé de l’île y est pour quelque-chose.
Le sanglier d’Iriomote est, comme le chat sauvage, une espèce endémique. Grâce à cela, elle n’est pas sujette aux maladies qui se transmettent ailleurs entre les espèces de cochons sauvages. Ce qui explique que sa viande peut se consommer crue. Attention toutefois, le sashimi de sanglier n’est servi qu’à la “bonne saison”, celle de la chasse, entre novembre et février. Toujours avec sa purée d’ail.
Comment s’y rendre ?
Pour se rendre sur l’île d’Iriomote, il faut forcément prendre un ferry depuis l’île voisine d’Ishigaki. Le voyage dure entre 40 et 50 minutes, en fonction du port de destination (Ohara à l’est ou bien Uhera au nord). Une fois sur place, il est quasiment indispensable de louer une voiture tant les bus sont rares.
En savoir plus :
Un blog spécialisé sur la botanique japonaise donne quelques références d’espèces de plantes, dont des mangroves à observer sur l’île.
Du côté du chat d’Iriomote, quelques vidéastes ont réussi à capturer ses mouvements furtifs de nuit comme l’OCVB, Okinawa Convention & Visitors Bureau et un habitant, respectivement ici et là. L’association environnementale Japan Tiger & Elephant Fund a, de son côté, filmé une mère et ses petits traversant la route. Enfin, à l’automne dernier, la chaîne japonaise Kijitora neko TV a réalisé un reportage sur le chat sauvage.
Pour découvrir le paysage exotique et vert des mangroves, il faut regarder la surprenante vidéo de Madoka Tokita, par ailleurs présidente d’un club de yoga Ashtanga (et amatrice de paddle).