Wasabi

La majorité de ce qui se vend et s’achète sous l’appellation « wasabi » n’en est pas réellement : il y a de fortes chances que vous n’ayez jamais goûté de vrai wasabi.

En France, la pommade verte qui monte au nez, servie avec les sushis et les sashimis ne contient en général pas plus de 30% de vrai wasabi (et souvent aux alentours de 5% !). Il s’agit en fait d’un mélange de raifort, d’eau et de colorants… Car le wasabi authentique est une plante fragile, à la culture longue et difficile et dont la saveur s’évapore dès qu’on le râpe. Au Japon, il fait la fierté de la préfecture de Shizuoka, et particulièrement du village montagnard d’Utogi…

Wasabi
Wasabi

Wasabi

Youko Siratori connaît bien le wasabi. En ce froid matin de décembre, alors que le soleil vient de trouver le chemin de la vallée, la sexagénaire, qui s’occupe seule de sa ferme dans les montagnes d’Utogi, ratisse énergiquement 15 m² de gravier. La première étape de la longue production du sawa wasabi, celui qui pousse en eaux vives et est le plus réputé. (À ne pas confondre avec le oka wasabi, celui de plein champ).

« Ensuite, il faudra rincer les graviers, s’amuse Youko en désignant le tuyau d’arrosage qu’elle vient de dérouler au travers du chemin qui longe le ruisseau canalisé. Le wasabi est très fragile, et ne poussera que si son environnement est idéal ! » Dès que le gravier sera prêt, d’ici quelques jours, l’esplanade sera de nouveau relié au fil du petit cours d’eau de montagne, afin que les racines du wasabi semi-aquatique s’épanouissent paisiblement dans l’eau courante.

“Le wasabi est très fragile”

Le wasabi, avant d’être une pâte verte à la texture crémeuse, est bien une plante. Une plante qui, avant d’être cultivée avec difficulté par les Japonais de la période Muramachi (1336-1573), avait appris à apprécier les cours d’eau de montagne de certaines région du Japon et de l’île voisine, aujourd’hui russe, de Sakhaline. Là où la température de l’eau varie peu à l’année, toujours entre 13 et 18°C.

Le boom de l’utilisation du wasabi a rapidement suivi, dès l’ère Edo, à partir de 1600. Les Japonais ont vite apprivoisé la plante, et le goût fort et subtil, qui ne pique pas (dans sa version authentique) mais prend fortement au nez, obtenu en râpant le rhizome de la plante. Aujourd’hui, il est le condiment essentiel des sushis et des nouilles soba.

Depuis les débuts de l’ère Edo, donc, la culture du wasabi s’est développée au Japon, dans plusieurs régions montagneuses et principalement dans la préfecture de Shizuoka, où la plante avait colonisé d’elle-même les ruisseaux de montagne. Depuis plusieurs siècles, le village d’Utogi, où Youko tient la ferme familiale, est synonyme d’un wasabi haut de gamme.

Wasabi

Wasabi
Wasabi
Wasabi

« Il faudra un an et trois mois au wasabi pour atteindre la bonne taille, explique méticuleusement Youko Siratori, en montrant les différentes terrasses de culture, qui s’étire par dizaines vers l’amont et l’aval en suivant le cours du ruisseau. Ceux-là par exemple seront récoltés le mois prochain. » Sur la parcelle voisine, quelques plants ont profité du soleil de décembre pour fleurir à contre-temps.

Depuis plus bas dans la vallée, et jusque bien haut dans la montagne Aozasayama (du sommet de laquelle le mont Fuji se présente sous un jour inédit), les terrasses de wasabi se succèdent. Très fragile, la plante nécessite une exposition mesurée à la lumière directe du soleil, obligeant les fermiers à tirer de longs voiles au dessus des plantes quand l’astre brille trop fort. Plus en amont, en prévision de l’hiver qui arrive, le wasabi qui pousse est déjà protégé du gel par des bâches en plastique.

Au moins 15€ les 100g

Au bas de ses parcelles, Youko est désormais occupée à recueillir certains plants arrivés à maturité, après 15 mois de lente croissance. Sous les larges feuilles vertes, les tiges se prolongent par un rhizome épais de 8 à 15 cm, auxquelles se rattachent de fines racines et qui s’est développé dans l’eau vive. Ce sera cette partie fibreuse qui, râpée, donnera la pommade verte.

« Mais il faut déjà enlever précautionneusement les racines et nettoyer la plante », précise Youko Siratori en remplissant une caisse bleue. Au loin, de l’autre côté du ruisseau, trois singes s’enfuient en courant le long d’un champ de thé, l’autre spécialité d’Utogi. Selon leur poids, les grands rhizomes de wasabi de Youko se négocieront à plus de 10000 yens (aux alentours de 80€).  Selon la qualité et les régions, le prix du Wasabi débute en général à 14/15€ les 100g.

Wasabi

Vues les difficultés et le nombre restreint d’exploitation, la production nationale japonaise ne suffit déjà pas à la consommation de l’archipel. De plus, une partie s’envole à l’export vers les restaurants haut de gamme de l’étranger. D’où la nécessité d’une pâte de substitution, d’abord pour le marché national puis pour les restaurants japonais. Celle-ci est obtenu à partir de raifort, dont le goût se rapproche du wasabi, et d’un cocktail de plusieurs ingrédients. Parfois, mais ce n’est pas toujours le cas, un pourcentage de vrai wasabi est présent sous forme de morceaux.

Vrai et faux wasabi

Souvent, le raifort chinois est reconditionné au Japon, où un certain pourcentage de vrai wasabi est injecté dans le mélange, avant d’être consommé localement ou exporté. En Europe, la photo de la plante peut apparaître sur le tube s’il en contient au moins 5% . Mais la recette pose d’autres problèmes…

En plus du raifort, ce wasabi de substitution, dix fois moins cher que l’authentique, contient généralement des graines de moutarde et de la farine de soja, de l’huile de colza et de l’amidon de maïs, du sel, du sucre, de l’épaississant et de l’édulcorant. Un mélange moins nuancé que le wasabi pur, et qui n’étant pas naturellement vert, nécessite aussi quelques colorants. Ce sont deux dérivés pétrochimiques, l’E102 et l’E133. Des joyeusetés qui peuvent provoquer, respectivement, crises d’asthme, urticaire et eczéma, ou allergies et hyperactivité (Lire aussi “Wasabi : bas la pâte” dans le Canard Enchaîné du 2 novembre 2016)

Pour révéler pleinement ses saveurs, le vrai wasabi doit être conservé sous sa forme de rhizome (au frais dans un linge humide, un mois maximum) et doucement râpé à la demande. Il révèle tout son arôme dans les cinq minutes qui suivent. L’étape est importante : les chefs japonais utilisent des râpes spéciales en bois et galuchat (de la peau de raie), qui se négocient à plusieurs centaines d’euros.

Wasabi

Wasabi tempura Wasabi

De retour à Utogi, Youko Siratori déguste un déjeuner mérité, au milieu d’une journée commencé longtemps avant que le soleil de décembre ne se lève. Dans le restaurant aux allures de cantine des coteaux du village, des posters annoncent déjà les mochitsuki à venir. « Tout se mange dans le Wasabi, présente avec passion la cultivatrice. Les feuilles, les tiges et, bien sûr, le rhizome ! » Sur son plateau, au côté d’un peu de wasabi râpé, son bol de soba est couvert de feuilles frites (en version tempura).

Les tiges de la plante fragile sont aussi consommées. Selon une recette ancienne, elle permette d’obtenir le wasabizake, un alcool de wasabi. Aux murs du restaurants où déjeune Youkou, la feuille de wasabi est omniprésente. C’est le cas partout dans Utogi, où l’authentique wasabi est subtilement représenté sur les murs, les plaques d’égouts ou des drapeaux à son effigie.

Wasabi et thé
Les plants de wasabi et de thé séparés par le ruisseau.
Comment s’y rendre ?

Voiture quasi-obligatoire pour rallier Utogi (有東木). Le plus simple étant d’en louer une à Shizuoka, à 30 km, et de faire confiance au GPS pour une petite heure de routes de montagne, parfois très étroites ! Sinon plusieurs bus quittant la gare Shizuoka passent par Utogi (compter 1h15, 1200 yens et 57 arrêts)…

Pour en savoir plus :

En français, lemanger.fr est allé à la rencontre d’un producteur de wasabi ultra-célèbre d’Utogi, Yuma Mochizuki. En juin, des équipes d’Arte ont visité ce même producteur pour un reportage, dont Voyapon raconte la préparation. Cet automne, une vidéo présentant la ferme Daio à Hokata a beaucoup fait parler sous l’angle “vous n’avez jamais mangé de vrai wasabi”, en anglais. Wasabi.org, également en anglais, décrit enfin ses bienfaits pour la santé.

En Europe, du vrai wasabi est cultivé, souvent dans des anciennes cressonières (le cresson, comme le wasabi et le raifort, appartient à la famille des Brassicaceae). C’est le cas de The Wasabi Company en Angleterre. En France, seul un producteur a essayé l’aventure, Bruno Schweitzer. Le maraîcher biologique installé à Oyé, en ­Saône-et-Loire, vend sur les marchés environnants et à des chefs locaux, comme le triple étoilé de Roanne, Michel Troisgros.

 

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