Les anciennes voies de Kumano (« Kumano Kodo ») constituent un réseau d’escaliers abrupts, de sentiers forestiers et de pavés moussus qui rayonnent entre les sites sacrés de la péninsule du Kii. Ils relient le mont Yoshino à l’océan Pacifique, le Koyasan, les grands sanctuaires d’Ise et, surtout, les trois sanctuaires de Kumano : Hongu, Hayatama et Nachi. L’ensemble constitue le seul pèlerinage classé à l’Unesco avec celui de Saint-Jacques de Compostelle ! Nous y avons aussi trouvé un petit onsen millénaire et découvert les feux de l’Oto Matsuri, le principal festival du Kumano Kodo.
Mais avant d’attaquer le Kumano Kodo, il nous faut quand même prendre le temps de se féliciter ! Car les anciens sentiers de pèlerinage sont le centième site décrit sur Nippon100, donc le dernier de la liste des 100 paysages de l’ère Heisei – celle que nous avons suivi pendant un peu plus d’un an. Le challenge est maintenant rempli et a été rempli dans les temps (le retard d’écriture pourrait faire penser l’inverse), mais l’aventure ne s’arrête pas là. Plus de nouvelles bientôt.
Nous avons fait le tour des sites principaux du Kumano Kodo en février, à peu près en même temps que nous avions découvert le Koyasan – inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco dans le même ensemble, depuis 2004.
Les voies du Kumano Kodo
Avant tout, le Kumano Kodo désigne bien les sentiers qui parcourent la péninsule du Kii.
Ce sont plusieurs routes, reliant les différents sites sacrés de la région :
- Nakahechi, l’une des plus préservées et des plus faciles à parcourir (notamment grâce à la présence régulière de hameaux et sources chaudes). Elle relie Tanabe, sur le littoral ouest de la péninsule, à Shingu et Hatayama, sur le littoral est ;
- Oheshi, qui relie également Tanabe à Nachi, en passant par Shirahama, mais cette fois en suivant la côte ;
- Iseji, qui connecte les grands sanctuaires d’Ise, avec ceux de Hongu et Hatayama ;
- Kohechi, de Koyasan au grand sanctuaire de Hongu, réputée longue et difficile, sans étapes et presque plus utilisée ;
- Omine Okugake, enfin, est celle qui relie le mont Yoshino et Hongu. Également éprouvante, elle était surtout usitée par les yamabushi, les pratiquants du Shugendo.
Toutes partagent les grandes caractéristiques des sentiers de Kumano : un cadre forestier enchanteur, avec des pierres usées par les pas des pèlerins pendant plus de 1000 ans.
L’un des secteurs les plus accessibles et les plus courts pour arpenter (même rapidement) les anciennes voies est celui du grand sanctuaire de Nachi (voir plus bas). Et particulièrement les escaliers de Daimon-zaka. Ils sont aussi l’endroit où louer des costumes de la période Heian (794-1185). Une activité récente qui offre désormais certains des clichés les plus emblématiques du secteur. Ils évoquent les premiers temps où la noblesse de Kyoto se rendait sur les sites sacrés du sud du Kansai.
Kumano Sanzan, les trois grands sanctuaires
Trois sites sacrés anciens se sont développés au cœur du Kumano Kodo : ce sont eux qui ont précédé et permis le développement des chemins. Ils remontent à l’aube du shintoïsme, et ont émergé au fil du temps pour révérer la nature puissante de la péninsule du Kii.
Le bouddhisme s’est ensuite adjoint aux anciennes influences, dans une imbrication que n’a pas pu tout à fait démêler l’ère Meiji (qui a pourchassé les syncrétismes et obligé les sites à se positionner, du côté shinto ou bouddhiste).
Le Kumano Nachi Taisha
Avant l’organisation des croyances religieuses, les premiers japonais vénéraient déjà la cascade de Nachi, la plus grande du Japon avec une hauteur de 133 mètres. Elle est un impressionnant mur d’eau plongeant le long d’une falaise abrupte, en haut de laquelle une corde du shinto précise son caractère sacré. Elle est changée tous les ans – les officiants portent un baudrier et s’assurent depuis quelques années seulement.
Le point de vue le plus réputé met en scène la pagode à trois étages du temple Seiganto-ji. Le grand sanctuaire de Nachi est situé encore un peu plus loin, offrant une vue superbe sur les montagnes environnantes.
Le Hayatama Taisha
Un peu plus au nord, dans la ville de Shingu, le grand sanctuaire Hayatama est situé à l’embouchure du fleuve Shingu (aussi appelé fleuve de Kumano). Il occupe le même emplacement depuis au moins le XIIe siècle ; et des signes de pratiques religieuses remontant au IIIe siècle ont même été découverts !
Le Hayatama est un haut lieu de la mythologie shintoïste, y sont vénérés trois kami principaux, descendus au Japon à proximité immédiate, sur le rocher Gotobiki-iwa. Lui-même est désormais vénéré, au centre du plus petit sanctuaire Kamikura-jinja. Il est l’épicentre du plus grand festival du Kumano Kodo, le Oto Matsuri (chaque année le 2 février, voir plus bas).
Le Hongu Taisha
Le dernier des trois grands sanctuaires est situé plus dans les terres, à 35 kilomètres en amont en suivant le fleuve Shingu. Il se situe sur une colline qui voisine la vallée et les champs de riz. Y sont vénérés les trois kami des trois Kumano Sanzan et la déesse du soleil Amaterasu. Le sanctuaire est à la tête des 3000 sanctuaires de type Kumano du Japon. Il est aussi le nid du corbeau à trois pattes, envoyé légendaire de la déesse pour guider l’empereur Jinmu, le premier empereur du Japon.
Le corbeau à trois pattes, Yatagarasu, est devenu le symbole de la JFA, l’équivalent japonais de la FIFA, ainsi que de l’équipe nationale de football.
Jusqu’aux grandes crues de 1889, le Hongu Taisha était situé directement dans le lit du fleuve, à un emplacement sacré – Oyu no Hara – qui est désormais marqué par le plus grand torii du Japon.
Tsuboyu à Yunomine, le seul onsen classé à l’Unesco
Plusieurs sources thermales parsèment les montagnes du Kii à proximité de Hongu, notamment Kawayu Onsen, celle où il faut creuser dans le lit d’un effluent du fleuve Shingu pour s’aménager un bassin d’eau chaude.
Parmi les hameaux qui sont devenus des relais pour les pèlerins, au fil des siècles, celui de Yunomine abrite un minuscule établissement de bains, Tsuboyu, qui utilise une source connue depuis 1800 ans. Inclus dans l’ensemble classé au patrimoine mondial de l’humanité en 2004, il est devenu le seul onsen classé World heritage !
Tsuboyu est un cabanon posé sur le lit d’un ruisseau, entourant le petit bassin naturel d’eau laiteuse (le fond est en galet !) utilisé par les pèlerins depuis plus de 1000 ans. Des stores de bois permettent de réduire la résistance offerte au courant, en cas de crue, pour éviter que la cabane ne soit emportée. S’y baigner coûte 770 yens par personne (deux personnes à la fois), il faut d’abord acheter un ticket au distributeur près d’un comptoir dans le centre de Yunomine, puis l’échanger contre une carte numérotée qu’il faudra accrocher à l’extérieur de la cabane. Les créneaux sont d’une demie-heure. Mieux vaut venir tôt pour éviter une attente qui peut très vite s’allonger.
L’Oto matsuri, grand festival de feu du Kumano Kodo
Pour notre découverte du secteur (en fait la deuxième car nous étions rapidement passé à Nachi, Hongu et Kawayu en juillet 2015, sous des trombes d’eau), nous avons fait en sorte d’être présents pour le Oto Matsuri, dans la ville de Shingu. Il est le plus grand, et certainement le plus impressionnant des nombreux festivals qui rythment l’année dans la péninsule du Kii.
L’Oto matsuri est un festival appelant de bonnes récoltes et une bonne fortune, qui dure toute la journée, chaque année le 2 février. Il commence donc à l’aube avec shiogori, un premier rituel de purification dans les eaux de l’océan Pacifique, mené par un prêtre shinto. Une deuxième session est organisée à midi. Un moment familial, populaire et vraiment impressionnant.
Toute la journée est ensuite dédiée aux préparations, depuis la confection de mochi rituel au grand sanctuaire Hatayama (pendant lequel je (Julien) suis devenu le premier non japonais à participer au mochi-zukuri pour le kami – à l’invitation du grand prêtre !), jusqu’à l’habillage des noboriko, les participants. Participer au festival est réservé aux hommes, de tout âge, est les gymnases de Shingu sont réquisitionnés pour l’habillage.
À partir du milieu de l’après-midi, les rues de la ville sont parcourues de groupes de plus en plus nombreux de noboriko, qui font le tour des différents sanctuaires de Shingu. À partir de 17h, ils convergent vers le sanctuaire Kamikura-jinja, celui avec le rocher, en haut d’une volée de marches vertigineuses. Deux milles hommes se regroupent dans l’enceinte du rocher Gotobiki-iwa, et attendent l’arrivée du feu sacré, quelques heures après la nuit tombée.
Après une attente frémissante, quand toutes les torches pentagonales ont été allumées, les portes de l’enceinte sont ouvertes. Une cascade de feu ruisselle alors de la montagne, quand les pèlerins descendent le feu pour le ramener – historiquement – à leurs foyers. Le climax du festival est plutôt compliqué à prendre à photo, mais franchement impressionnant à voir en vrai !
Une visite à Kumano Kodo
L’ensemble des sites sacrés et des anciennes voies est l’un des paysages les plus impressionnants de la liste, un ensemble finalement encore peu exploré par les voyageurs internationaux. D’autant qu’il intègre le mont Yoshino, par ailleurs l’un des sites que nous avons préféré après treize mois de voyage !
Comment s’y rendre ?
Nagoya est le point de départ le plus pratique pour l’est de la péninsule du Kii – alors qu’Osaka est la ville la plus proche de sa partie occidentale. Les lignes de trains circulent essentiellement sur le littoral et ne permettent pas de rallier les sanctuaires de l’intérieur. Un réseau de bus local permet de rejoindre l’essentiel des sites, mais la fréquence est plutôt faible. Le mieux pour découvrir le secteur reste définitivement de louer une voiture.
Pour marcher, l’itinéraire le plus accessible reste Nakahechi, celui qui traverse transversalement les montagnes de la péninsule, car il rencontre plusieurs hameaux, dont Yunomine, où l’on peut trouver de quoi se reposer, des minshuku et des onsen.
La portion la plus facile d’accès du Kumano Kodo est bien Daimon-zaka, à proximité immédiate de Nachi, pour une montée de 600 mètres.