“Ce paysage n’est pas japonais. C’est soit la Suisse ou une illusion de la Suisse”, s’était exclamé l’architecte allemand Bruno Taut en passant par Shirakawa-go en 1935. Des mots qui résonnent alors que la silhouette du village de la préfecture de Gifu fait étrangement penser à une barre de Toblerone, ce chocolat suisse bien connu… Mais les toits de chaume, qui ne résisteraient pas à l’hiver neigeux s’ils étaient en chocolat, sont bien réels. Avec Gokayama, de la préfecture voisine de Toyama, Shirakawa-go est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1995. Un paysage de montagnes unique des Monts Hida, à découvrir par tous les temps.
Un petit tas de neige par-ci, un gros bloc gelé par-là. En ces premiers jours de printemps, l’hiver s’accroche à Shirakawa-go. Le village perdu dans une vallée au cœur des Monts Hida, la partie nord des Alpes Japonaises, connaît des hivers enneigés. Entre deux et quatre mètres se déposent chaque année, de décembre à mars, sur les toits de chaume. Comme un air d’Europe, de Suisse pour Bruno Taut, ou de Toblerone…
Visiter un des deux villages aux toits de chaume, inscrits dans les 100 paysages de l’ère Heisei, est inédit au Japon (et incontournable selon nous !). Aux beaux jours pour le côté champêtre et intemporel. En automne pour le feuillage multicolore, ou en hiver pour la vue saisissante des toits émergeant de la neige pure. “Ils sont éclairés en janvier et en février, pour donner un côté plus chaleureux et habité”, détaille Tatsuya Ozaki, qui a grandi dans le village.
Les toits de chaume habités à Shirakawa-go
La balade à Shirakawa-go peut se faire facilement à pied. Le parking près de la station de bus Ono-gun permet d’admirer le point de vue sur le village encerclé par les montagnes. Il suffit ensuite de descendre, pour suivre la route principale ou slalomer entre les maisons. Shirakawa-go compte en tout 114 maisons gassho-zukuri (pour “construction en forme de mains jointes en prière”) dont 59 sont encore habitées. Près de 550 personnes habitent la partie principale du village, celle explorée par les visiteurs. En tout, Shirakawa-go compte 1600 habitants dans 16 zones.
La structure principale des maisons en toits de chaume est réalisée en poutres de bois sans clou et quasiment aucune pièce métallique. Les toits, penchés à 60 degrés font toujours face à l’est ou à l’ouest, notamment pour favoriser la fonte de la neige en hiver. Et les fenêtres donnent toujours au nord ou au sud pour permettre le passage du vent (dû à la proximité avec la mer du Japon) et une bonne aération.
Visiter l’intérieure d’une gassho-zukuri
Plusieurs maisons peuvent être visitées pour quelques centaines de yens, dont les maisons Wada, Kanda et Nagase. L’occasion de découvrir le mode de vie adopté par les gens du village depuis le début de l’époque Edo. Au rez de chaussée, plusieurs générations (soit vingt à trente personnes) vivaient autour du foyer central, irori, l’unique feu de la maison.
Dans un faux premier étage intermédiaire, les deuxième et troisième fils de la famille avaient pour tâche de surveiller ce feu nécessaire mais dangereux en permanence, depuis une petite fenêtre. Le vrai premier étage, lui, était consacré au travail, avec élevage de vers à soie et tissage. Parmi les objets exposés qui racontent le village, ne pas rater la petite caisse en bois pour le chat – véritable membre de la famille qui chassait les rats des maisons.
Solidarité à Shirakawa-go
Une autre particularité de Shirakawa-go est la relation très forte entre ses habitants, dû à leur isolement. Ce sont eux, grâce aux savoir-faire transmis de générations en générations qui rénovent traditionnellement cinq toits de chaumes chaque année. Une trentaine de personnes sont mobilisées à chaque fois, pour une rénovation qui dure une semaine. “Mais les anciens l’effectuaient en une nuit !”, sourit Tatsuya Ozaki. Une cohésion qui a aussi permis aux villageois de mettre en valeur leur patrimoine et de réaliser les démarches, dans les années 1970, pour faire connaître les maisons aux toits de chaume au reste du monde.
À noter, la différence entre les deux maisons ci-dessus. Celle de gauche possède un toit encore ancien là où celui de la photo de droite a été refait cette année même (sur la façade visible) !
Shirakawa-go réflechit à son avenir
Avec la reconnaissance au patrimoine mondial de l’humanité en 1995, les touristes sont arrivés. Une situation qui a incité le village à s’y intéresser pour “maintenir un bon équilibre entre patrimoine classé et vie des villageois”, ajoute Tatsuya Ozaki. Dans le cadre de ses cours d’anglais, son fils vient d’aller à Kyoto pour faire la promotion de Shirakawa-go aux étrangers. Et les enfants guident régulièrement les voyageurs, pour s’entraîner.
Et l’anglais n’est pas la seule matière sur laquelle les enfants travaillent. Les techniques de construction et d’entretien des toits de chaume sont aussi au programme, pour participer à la vie du village et aider le plus tôt possible à la reconstruction. Tout comme l’histoire particulière du village, apprise à l’école et racontée aux touristes de passage. “C’est une manière aussi d’impliquer nos jeunes et de les inciter à rester s’investir pour le village”, continue Tatsuya Ozaki .
Marqués par des épisodes tragiques d’incendie, les villageois ont désormais une réglementation anti-feu très suivie : feux d’artifice et bougies sont interdits. Et quatre fois par jour, les pompiers volontaires du village effectuent une patrouille de contrôle du village. Les noms de certains volontaires sont inscrits sur cette maison qui sert de caserne (photo ci-dessus).
Au bout du village, possibilité de pousser la balade en traversant le pont au dessus de la rivière Shogawa. Après l’autre grand parking, le musée à ciel ouvert d’Ogomachi présente 25 maisons à toits de chaume déplacées ici dans le but de les préserver (500 yen, de 8h40 à 17h et de décembre à février de 9h à 16h). Pour pousser l’expérience jusqu’au bout et pour des raisons pratiques en hiver quand les transports publics s’arrêtent tôt, il est possible de dormir dans le village, notamment dans la minshuku Kanjiya ou la guesthouse Magoemon.
Un pélerinage anime à Shirakawa-go
Enfin, à deux kilomètres du cœur du village se situe le sanctuaire Hatogaya Hachiman, l’un des lieux du festival du doburoku, à la mi-octobre. Festival pendant lequel les villageois prient pour une bonne récolte, et la paix dans le village en buvant le doburoku, un saké de riz assez épais qui est servi et bu uniquement à l’occasion du festival et dans l’enceinte du sanctuaire. Récemment, avec la nouvelle tendance des pèlerinages dans les lieux qui ont inspirés les anime, le sanctuaire est visité par des amateurs de l’anime Higurashi no Naku Koro Ni (Hinamizawa, le village maudit)…
Comment s’y rendre ?
Pour se rendre à Shirakawa-go, le plus simple est de faire étape précédemment à Takayama, côté Gifu, ou Kanazawa, côté Ishikawa. Plusieurs bus rejoignent Shirakawa-go depuis les deux villes, en environ 1 heure depuis Takayama et un peu plus depuis Kanazawa. Depuis Nagoya, deux ou trois bus directs circulent chaque jour (3600 yen pour trois heures de trajet, non compris dans JR Pass).