Du Nord au Sud et d’Ouest en Est, les Japonais classent les paysages remarquables et les sites d’exceptions de leur pays. Des classements locaux et nationaux, depuis les top 3 des origines jusqu’au top 100 actuels, bien avant que Buzzfeed ne popularise le genre sur internet. Et la majorité des sites classés sont ignorés des voyageurs…
Faire découvrir ces sites est le premier objectif de Nippon100.
C’est totalement la faute de Hayashi Razan, conseiller des quatre premiers shoguns Tokugawa, philosophe et voyageur, né en 1583. Un jour de 1643, quarante ans après le début de l’époque Edo, le lettré des débuts de l’ère Edo a déterminé quelles étaient les trois vues les plus célèbres du Japon (Nihonsankei, 日本三景). Les Japonais, passionnés et collectionneurs, ont tout de suite suivi cette pratique du sankei (三景).
Ce classement originel, bien connu des Japonais, a ensuite été décliné au fil des siècles. Les “trois vues de nuit les plus célèbres” ont précédé les “trois nouvelles vues les plus célèbres”, puis les “trois nouvelles vues de nuit les plus célèbres”. Le Nihonsankei, les trois vues les plus célèbres, est aussi le seul qui soit évoqué dans les guides de voyages. Car l’une de ces trois entrées est mondialement connues.
Incontournable, l’île de Miyajima et son tori les pieds dans l’eau est omniprésente dans la littérature touristique et dans les campagnes de promotion du Japon à l’international. La vue se découvre facilement, à un saut de Shinkansen à l’ouest d’Hiroshima. Mais tout se corse pour les deux autres, qui ne sont pas moins méritantes…
L’archipel de Matsushima (Miyagi) et le bras de terre d’Amanohashidate (Kyoto), les deux autres vues du Japon d’après Hayashi Razan (respectivement par Yoshu Chikanobu et Shesshu Toyo)
Si les Japonais connaissent bien l’archipel de Matsushima, dans la préfecture de Miyagi, et le bras de terre d’Amanohashidate, au nord de la préfecture de Kyoto, les deux lieux sont royalement ignorés des voyageurs étrangers. Typiques du Japon, ils évoquent une certaine nostalgie au niveau national.
Un but de voyage
Depuis Hayashi Razan, les trois vues sont un but de voyage d’agrément, presque de pèlerinage. Faire le tour des trois sites revenant à apprécier pleinement l’esprit japonais. Puis dans la même logique, au fur et à mesure de leur établissement, les autres sankei sont devenus des destinations du tourisme intérieur.
En parallèle, pendant l’époque d’Edo, les top 3 se sont spécialisés. Jusqu’au début du XXe siècle – moment à partir duquel les trois entrées de chaque catégories sont désormais bien arrêtées. Au trois vues les plus célèbres, quelque soit le moment de la journée, se sont rajoutés les trois onsen, montagnes, ponts, jardins, etc.
Puis, pour varier l’art du sankei, ce sont les qualificatifs qui ont valsé. Aux plus célèbres sites de chaque catégorie, se sont rajoutés les plus beaux et les plus anciens. Autant de listes de lieux, très souvent méconnus des étrangers, dont la description est le premier but de Nippon100.
Par exemple, du côté des onsen, sept sources chaudes distinctes se retrouvent dans trois sankei : des trois grands, des trois célèbres et des trois anciens onsen.
Le Saki-no-yu onsen, situé à Shirahama (Wakayama) et ici entouré d’un cercle rouge, est l’un des trois plus célèbres et l’un des trois plus anciens du Japon.
Dès le tout début de l’ère Showa (en 1927), l’empereur Hirohito décide de frapper fort, dans le but de « marquer les goûts de l’époque nouvelle ». Iconoclaste, il passe sans transition des top 3 classiques des lettrés à un premier top 100, voulu plus équitable et plus populaire : les cent paysages de l’ère Showa. Les journaux (le Tokyo nichi nichi Shimbun et le Osaka mainichi Shimbun) sont tout de suite impliqués, ainsi que leurs lecteurs.
Dans le Japon qui change du XXe siècle, les hyakusen prennent vite. Comme les sankei l’avaient été, les tops 100 sont rapidement déclinés à toutes les sauces, dans une logique globale de sauvegarde du patrimoine. Alors que le pays se modernise, les années 1920 sont aussi celles des grandes lois de préservation des Trésors nationaux.
Ces listes de cent entrées, sans hiérarchie entre les sites, regroupent ainsi de nombreux trésors du patrimoine japonais, tant naturel que culturel. Pourtant, comme les sankei, l’immense majorité des sites qu’elles regroupent sont méconnus des touristes étrangers. Alors même que des références peuvent être relevées dans certains itinéraires touristiques, au détour d’une brochure ou d’une exposition, mais sans contexte.
En 2009 – et il s’agit du fil directeur de Nippon100 – le Yomiuri Shinbun prend l’initiative d’un nouveau classement actualisé, presque cent ans après les cent paysages de l’ère Showa. Il s’agit cette fois de déterminer les cent paysages représentatifs de l’ère Heisei, du Japon du XXIe siècle. S’y croisent la banquise d’Okhotsk, plusieurs onsens, un musée des chemins de fer ou Tokyo Disney Resort.
Une fois encore, le classement a été déterminé en lien avec les lecteurs du journal – 600 000 votants – et validé par les instances officielles.
Des lieux méconnus à l’étranger
Ce qui frappe, comme pour les listes précédentes, est l’absence de reconnaissance de ces lieux hors du Japon. Les trois quarts sont méconnus des voyageurs occidentaux, en n’étant ni dans les guides, ni dans les itinéraires classiques. Dans une moindre mesure, ils sont connus des plus proches voisins des Japonais, les Coréens et les Chinois, meilleurs connaisseurs des trésors japonais. D’où des pistes pour le développement du tourisme dans l’archipel.
Car les hyakusen, dans leur diversité, réservent bien d’autres surprises Du côté des classements moins célèbres, nationaux ou préfectoraux, la proportion de sites méconnus augmente encore. Avec une pointe d’inattendu : plusieurs préfectures (donc à l’échelle d’un département français) ont listé leurs 100 plus beaux couchers de soleil. Et les Japonais ont créé plusieurs classements de “paysages sonores”, représentatifs de leur pays.
Ce qui constitue de nombreuses pistes pour explorer et mieux connaître le Japon, via ses sites classés !
Pour en voir plus :
L’une des listes très connues du Japon, qui n’est pas un classement, est bien sûr les 36 vues du Mont Fuji dans les estampes de Hokusai. Le photographe luxembourgeois Raoul Ries vient de publier un travail qui propose 36 vues modernes de la montagne sacrée, en s’inspirant du maître de l’ukiyo-e.
Peu de références existent en français sur les classements japonais. Sur les hyakusen, il faut pour le moment se contenter de Wikipedia, mais du côté des sankei, le site officiel de l’office du tourisme japonais a recensé les plus célèbres.
Concernant les trois vues les plus célèbres (le Nihonsankei, 日本三景), Miyajima est omniprésente en ligne. Pour en savoir plus sur le bras de terre d’Amanohashidate, le “pont dans le ciel”, il faut se tourner vers Kampai, vers Le Soleil rouge ou bien vers le site officiel en anglais et en japonais. Et pour découvrir Matsushima, l’article de l’équipe française de la Sakura House est bien pratique !