Hokkaido, l’île la plus septentrionale de l’Archipel, offre un Japon différent. Dans l’est sauvage et plus difficile d’accès, se trouve le lac Akan, devenu lieu de promotion et de préservation de la culture aïnoue. Mais pas seulement. La petite station thermale abrite aussi, dans les eaux du lac, une exception naturelle, les boules d’algues Marimo…
Au bord du lac Akan, une légende aïnoue raconte le temps où les dieux kamuy vivaient aux côtés des humains sur Terre.
Un jour, un ours féroce s’attaqua à un village humain et à la forêt voisine, où vivaient les esprits kamuy. Les dieux oiseaux réunirent tout le monde, esprits et humains, pour décider qui irait affronter l’ours. Beaucoup hésitèrent face à la dangerosité de l’opposant. Et contre toute attente, ce fut l’un des plus petits oiseaux qui se porta volontaire, le roitelet – celui qui était toujours moqué pour sa petite taille. Encouragé par d’autres dieux oiseaux, le kamuy roitelet s’en alla affronter l’ours féroce. Leur combat dura six jours. Impressionnés par le courage du roitelet, d’autres dieux oiseaux volèrent à son secours. Aidés d’autres kamuy, les esprits finirent par vaincre l’ours et sauvèrent le village et la forêt, grâce à leurs forces ainsi unies.
A Akan, dans les rue brumeuses de la station thermale, il ne reste plus vraiment de traces de ce combat. Sauf sur la scène du théâtre “Ikor” (“victoire” en langage aïnou), où le conte est l’une des légendes racontées quotidiennement aux spectateurs, majoritairement des touristes japonais, coréens et chinois. Le lieu est dédié à la promotion des traditions orales et des danses aïnoues, dans une logique de préservation.
Le Lac Akan, haut lieu de la culture aïnoue
Au Sud-Est d’Hokkaido, Akan est l’un des rare lieux à mettre en avant la culture aïnoue, à des fins de préservation et de promotion touristique et culturelle. En plus du théâtre Ikor, qui héberge une branche de l’université de Sapporo dédiée à l’étude de la culture aïnoue, les bords du lac Akan abritent le siège de l’association des artisanats aïnou et le Akanko Aïnou kotan, le “village aïnou d’Akan”.
Dans un cœur villageois à l’inspiration aïnoue, l’artisanat, la cuisine et les traditions orales sont mis en valeur et présentés par le biais de boutiques, de restaurants, d’un musée et du théâtre. En 1984, la danse traditionnelle aïnoue a été intégrée par le gouvernement japonais à la liste des éléments importants du patrimoine culturel et populaire national, puis est devenue patrimoine immatériel de l’Unesco en 2009.
Lieu de sédentarisation des Aïnous dans les années 50, le lac Akan regroupe logiquement la plus forte population d’Hokkaido, avec approximativement 200 descendants d’Aïnous, dont beaucoup travaillent à entretenir la mémoire du peuple du Nord.
|
Si le kotan d’Akan est aujourd’hui un lieu apaisé et dédié à la préservation, l’histoire des Aïnous et de leur voisins japonais n’a pas toujours été sans embûches. Le peuple est très ancien, et est présent sur Hokkaido depuis au moins aussi longtemps que les Japonais sur Honshu et dans le Kyushu. Après avoir été des partenaires commerciaux, les Aïnous ont ensuite subi la colonisation japonaise au XIXe siècle puis des discriminations renforcées par un statut “d’aborigène”.
Ce n’est qu’en 1997, avec l’abolition du statut d’aborigène et une nouvelle loi pour la promotion de la culture aïnoue et la diffusion et le soutien des traditions aïnoues que la situation s’est réellement améliorée. En 2008, les Aïnous ont finalement été reconnus comme peuple indigène du Japon. Même si beaucoup d’entre eux continuent aujourd’hui à ne pas révéler leurs origines, pour ne pas subir de discriminations.
Le travail du bois chez les Aïnous
L’entrée dans le kotan aïnou se fait sous l’œil perçant et vigilant de deux hiboux géants, tout de bois taillés et perchés sur une grande arche. Un troisième, tourné vers l’intérieur du village, semble surveiller ceux qui en sortent. L’omniprésence du bois surprend dès les premiers pas. Que ce soit sur les façades des magasins et maisons ou de par les nombreuses sculptures ornementales, dont beaucoup sont très précisément taillées. Si les trois hiboux de l’arche sont un peu haut pour être observés en détail, il suffit de pénétrer dans l’une des boutiques pour constater le talent des artisans aïnous.
Véritables orfèvres du bois, ils sculptent les scènes des forêts d’Hokkaido. Ici des ours pêchant dans une rivière ; là une scène familiale d’une ourse avec ses oursons, taillée à même un tronc. D’autres sculptures représentent des hommes et femmes aïnous, cette fois en taille réelle. Dans le musée du village – dont l’entrée est gratuite – il est expliqué que la sculpture sur bois est traditionnelle pour les Aïnous, mais qu’elle était en fait plutôt rare dans leur quotidien avant la sédentarisation. Le musée permet de constater l’évolution de leur technique depuis qu’ils se sont spécialisés à des fins touristiques, après la Seconde Guerre mondiale.
D’autres éléments de l’artisanat aïnou sont proposés dans les boutiques du kotan d’Akan, depuis les travaux de broderie jusqu’aux bijoux en bois et perles. Et il n’est pas rare de voir des réserves de bois de cerfs ou de fourrures de petits mammifères, qui attendent d’être transformés par les artisans. Cerfs et ours empaillés accueillent aussi parfois le client dans les boutiques.
L’histoire d’une boule d’algue appelée Marimo
Mais la culture aïnoue n’est pas la seule particularité des bords du lac Akan. Après le chat d’Iriomote à l’extrême-sud du pays, la partie la plus nordique du Japon abrite elle aussi une espèce unique : l’algue Marimo (マリモ en japonais). Dans sa forme sphérique, elle n’est observable que dans deux lacs de par le monde, à Akan et en Ukraine. Mais c’est dans le lac d’Hokkaido que les individus les plus grands ont été observés, note l’écomusée du Lac Akan. Sinon Aegagropila linnaei est une algue très connue des amateurs d’aquarium dans sa forme sphérique, mais existe aussi dans une forme longiligne.
La première observation d’Aegagropila linnaei est le fait du botaniste autrichien Anton Eleutherius Sauter, en Europe. Puis l’étude de l’algue ronde se poursuit avec le Japonais Takiya Kawakami, qui lui donna le nom de Marimo en 1897. Dans sa forme sphérique, qui varie de la taille d’un haricot à celle d’un ballon de basket, elle est une formée de filaments compacts. Au lac Akan, la plus grosse algue Marimo jamais découverte atteignait 30 cm de diamètre.
Aegagropila linnaei, dans ses deux formes, était aussi connue pour tapisser le fond d’autres lacs de l’hémisphère nord. Mais depuis le milieu du XXè siècle, elle a disparue de la plupart de ces endroits, notamment au Pays-Bas. Et en 2014, l’algue sphérique quittait officiellement les fonds du lac Mývatn en Islande à cause de la pollution d’activités minières. Elle n’existe donc plus que dans les eaux du lac Akan et dans celles du lac Svityaz en Ukraine, mais les populations diminuent.
Dès 1921, le Japon décida d’inclure l’algue Marimo dans sa liste des “Trésors nationaux” puis dans celles des “Trésors nationaux particuliers” en 1952. En l’an 2000, elle est finalement reconnue comme une espèce menacée au Japon, trois ans après que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) n’ait intégrée à la liste rouge des espèces particulièrement menacées les populations alors restantes, en Islande, au Japon et en Ukraine.
Aujourd’hui, sa préservation est un véritable enjeu pour la station thermale d’Hokkaido, qui communique notamment en direction des touristes et des jeunes générations. L’écomusée du lac Akan, qui étudie son comportement, mène aussi des expériences en vue d’améliorer ses conditions de vie.
Un souvenir d’Akan
Mascottes et festivals ont aussi été créés. Durant les nuits d’été, à l’occasion du festival Natsukito, des lumières vertes en forme de Marimo sont disposées sur la surface du lac. Et le Marimo festival, organisé trois jours en octobre depuis 1950 et le développement du tourisme à Akan, organise plusieurs célébrations, comme des cérémonies rituelles de “retour de l’algue au lac” en partenariat avec la communauté aïnoue.
Parce que l’algue en forme de boule est menacée, il est important de ne pas chercher à en ramasser. Pas d’inquiétudes par contre du côté des boutiques de souvenirs où on l’aperçoit en grand nombre : ce sont des Marimo artificielles, formées à partir de résidus d’algues roulés à la main !
Comment s’y rendre ?
Pour se rendre au lac Akan, qui est plutôt difficile d’accès, il faut utiliser une ligne de bus au départ de Kushiro, de Asahikawa, Kitami ou Sapporo, ou louer une voiture. Pour rallier Hokkaido, plusieurs aéroports desservent les grandes villes du Japon, le plus proche d’Akan étant celui de Kushiro. En voiture depuis Kushiro il faut compter environ une heure et demi.
Pour en savoir plus
En plus d’Akan qui est le plus conséquent, plusieurs lieux à Hokkaido sont dédiés à la culture aïnoue, ou l’évoquent précisément. C’est le cas du musée des peuples du Nord à Abashiri, du Poroto Kotan Ainu museum de Shiraoi ou encore du musée d’Histoire de Hokkaido à Sapporo. En ligne et en français, Japon Infos propose un article très documenté sur l’Histoire des Aïnous ainsi que le voyagiste Vivre le Japon.
Du côté de l’algue Marimo, la blogueuse et dessinatrice Joranne Bagoule a consacré une belle note dessinée à l’algue verte.
Pour faciliter l’accès au Lac Akan, l’office de tourisme a enfin réalisé un site très clair (mais en anglais uniquement) avec cartes et photos à l’appui.