Les premiers jours de février sont, dans tout le Japon, l’occasion de célébrer Setsubun, le passage de l’hiver au printemps. Pour ce faire, les foyers de l’archipel chassent les démons à pleines poignées de graines de soja. Tous les foyers ? Non, car ceux du mont Yoshino les invitent au contraire de bon cœur. Les oni ont bonne réputation dans ce hameau du sud de la région de Nara.
Découverte de Setsubun à Yoshino

Le mont Yoshino est l’un des cent paysages de l’ère Heisei, ceux que nous avons arpentés en 2017/2018 et présentons dans Les cent vues du Japon. Le site est très célèbre pour ses milliers de cerisiers, mais nous l’avions découvert à l’automne quand le rougeoiement des arbres tapissent les vallons avec autant d’élégance que les fleurs roses.

Ce premier passage avait été l’occasion de nous frotter au Shugendo, la pratique religieuse des yamabushi, qui auréole Yoshino et ses sites sacrés de nombres de particularités…

Nous avions alors eu vent des célébrations de Setsubun dans le village, à l’occasion desquelles – c’est ce qui nous avait été présenté – les démons de tout le Japon convergent aux alentours…

La particularité de Setsubun à Yoshino

“Setsubun” veut littéralement dire “changement de saison” et correspond pour les Japonais au passage de l’hiver au printemps. C’est donc un harumatsuri (= festival de printemps), célébré chaque année au tournant des 2 et 3 février.

À l’approche des ces dates fatidiques, les étals des kombini se parent de sachets de graines de soja grillées, annonciatrices de la grande tradition de Setsubun : les familles chassent de leurs foyers les démons en lançant de grandes poignées desdites graines.

Ce mamemaki se fait aux cris de “Oni wa soto ! Fuku wa uchi !” (鬼は外! 福は内! = Les démons dehors, la fortune/chance à l’intérieur !), pendant qu’un membre de la famille, généralement le père, a revêtu un masque de démon et reçoit donc les poignées de légumineuses.

L’histoire s’arrête souvent là. Mais Yoshino diffère.

Car En-no-Gyoja, le mystique fondateur du Shugendo, figure centrale du mont Yoshino, était servi par deux démons acquis à la foi bouddhiste. Les oni, les démons cornus chassés du reste de l’archipel, ont donc plutôt bonne presse dans le village. Ce qui fait que pour Setsubun, les démons repoussés des foyers japonais y convergent.

Mont Yoshino - En-no-Gyoja
En-no-gyoja entouré de ses deux démons familiers, Zenki et Goki.

La tradition du mamemaki y est donc différente. Les enfants jettent toujours les graines de soja grillées, mais poussent un cri particulier : “Fuku wa uchi ! Oni mo uchi ! ( 福は内! 鬼も内!= La fortune à l’intérieur! Les démons aussi !)

Les oni rouges et verts entrent donc allègrement et se voient offrir de larges coupes de saké.

Setsubun à Yoshino
La nuit du 2 au 3 février à Yoshino.

L’arrivée des démons à Yoshino

Le soir du 2 février 2018, nous entrons dans le hameau enneigé à pied, ayant abandonné notre voiture (sans pneus neige) un peu avant l’entrée du village dès que la couche de poudreuse s’est révélée trop importante sur la route.

Nous découvrons Yoshino plongé dans la nuit, mais une nuit rehaussée de bougies tout au long de l’axe principal, celui qui suit la crête de la montagne. L’obscurité est frémissante.

Setsubun à Yoshino

Devant Chikurin-in, ce temple reconverti en ryokan où nous avions séjourné quelques mois plus tôt, un minibus se gare. Deux silhouettes cornues en descendent, une verte et une rouge, toutes deux vêtues de pagnes tigrés. Des percussions commencent à résonner dans Yoshino.

Accompagnés par des cortèges d’enfants excités, les deux démons se mettent en marche en direction du Kinpunsen-ji, l’immense temple emblématique de Yoshino, cœur vivant du Shugendo.

Setsubun à Yoshino


Leur route est parsemée de haltes, dans tous les foyers allumés, pour recevoir de petits présents, saluer les enfants, et prendre le temps de trinquer avec les parents. Les plus grands sont gentiment coursés et les plus petits sont parfois secoués de larmes. Dans un restaurant de udon, les deux oni s’invitent entre des clients pour se sustenter d’un réconfortant bol de nouilles.

Setsubun à Yoshino
Temps de pause au restaurant d’udon.

Au Kinpusen-ji, d’autres paires de démons sont déjà sur place, arrivées par d’autres itinéraires. Le village s’y est rassemblé, autour de grands braseros. Une nuit de danses et de célébrations commence.

Setsubun à Yoshino
Setsubun à Yoshino
Danses nocturnes au Kinpusen-ji.

Les cérémonies de Setsubun à Yoshino

Mais les particularités de Setsubun à Yoshino ne s’arrêtent pas à la soirée et au mamemaki. La journée du lendemain, le 3 février, réserve son lot d’événements inattendus.

Setsubun à Yoshino
Il fait frais en février à Yoshino.

Nous retournons en début de matinée au Kinpusen-ji, pour y découvrir une animation franche et joyeuse !

La grande structure de bois du temple résonne de chants et de prières psalmodiées par les yamabushi et les moines, devant un public nombreux, très serré. Les photos sont interdites à l’intérieur, et des retraités japonais se font régulièrement reprendre quand ils lèvent leurs appareils photos.

Au milieu de la cérémonie, les paires de démons papillonnent entre les officiants, dont ils parodient les gestes, et les enfants du public.

Setsubun à Yoshino
Les yamabushi sont là.
Setsubun à Yoshino
Le feu purificateur est central en février et mars, pour commencer l’année sous les meilleurs auspices. Mais ici, ce sont les démons qui s’en occupent.
Setsubun à Yoshino
De rares étrangers 🙂

Après ce premier temps, les célébrations de Setsubun à Yoshino continuent sur le parvis du temple (dans une joyeuse confusion). Des yamabushi des deux sexes se rassemblent, dont la hiérarchie est signalée par la couleur des pompons. Ceux-ci convergent jusqu’à une esplanade où s’élève une montagne de branches de pin.

Setsubun à Yoshino
Setsubun à Yoshino
Setsubun à Yoshino
Voici le feu sacré.
Setsubun à Yoshino

Le feu sacré de la cérémonie de purification est amené jusque là par les démons, qui le transmettent (symboliquement ?) aux yamabushi. S’ensuit un long rituel en plusieurs étapes, typique de la nouvelle année japonaise, qui se termine par un impressionnant mur de feu s’élevant dans le ciel clair de Yoshino.

Avant cela, des archers ont tiré en direction des quatre points cardinaux des hamaya, ces flèches sacrées vendues comme charme dans les sanctuaires shinto. Déclenchant au passage d’impressionnants mouvements de foule, cherchant à les récupérer.

Setsubun à Yoshino
Avant les flammes, la fumée.
Setsubun à Yoshino
Setsubun à Yoshino
Setsubun à Yoshino

Mais le moment le plus intense et inattendu n’est pas encore arrivé. Après toutes ces cérémonies, la foule s’est rassemblée entre le temple et une estrade aménagée pendant la nuit. Démons et chefs yamabushi y montent, de concert avec quelques responsables politiques locaux.

Sous des vivats, tous se mettent à lancer des sachets de friandises (les graines de soja grillées, qu’il faut désormais ingérer pour obtenir la bonne fortune). Mais ces pochettes ne contiennent pas que des légumineuses : chacune renferme un ticket de tombola. Le public saute, bouscule, interpelle et se dispute les précieuses enveloppes.

Setsubun à Yoshino


Aurélie et moi en obtenons chacun un. Nous nous dirigeons donc vers le comptoir où récupérer les lots : un paquet de mouchoir pour moi et un stylo commémoratif pour Aurélie.

Il est temps d’aller déjeuner. La journée de Setsubun à Yoshino se poursuit au Visitor’s center voisin, dont l’étage sert occasionnellement de salle des fêtes. Les femmes du hameau y ont préparé plusieurs stands fumant de nourriture, pour un grand buffet joyeux auxquels on se joint après avoir acheté des tickets à l’accueil.

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